« Êtes-vous chrétien, oui
ou non? »
Certaines questions vous assiègent
tout à coup, alors qu'on ne se les
posait plus. On s'en désintéressait. On
pensait les avoir congédiées. Peut-être
s'y dérobait-on, jour après jour, sans le
savoir. Conférences, rencontres, débats: ce sont les autres qui, dans ces lieux publics, m'ont interpellé, et sans détour. Au début, leur curiosité m'agaçait. Je n'étais pas loin de la
trouver inconvenante. Étais-je chrétien? Mais le savais-je moi-même ? C'est une qualité – ou une identité – dont, en tout cas, je ne songeais pas à me prévaloir. Je pressentais que la question devait un jour ou l'autre me rattraper mais, sans calcul délibéré, je campais dans le flou, l'ambigüité,
le non-dit. S'affirmer chrétien m'eût paru présomptueux pour ne pas dire grandiloquent, mais prétendre le contraire eût été de la lâcheté. Alors ? Alors, je remettais à plus tard, poussant devant moi ladite question, comme un bagage verrouillé, un peu encombrant. Et je n'allais pas à la messe.
Ou si peu...
Puis vient un moment où
le bagage doit être ouvert pour de bon. Ce n'est pas simple. Les aveux qui coûtent ne sont plus ceux d'autrefois, qui touchaient principalement à l'intimité du plaisir, aux dissidences amoureuses, aux «
fantasmes» inavoués. Sur tous ces sujets, nous avons vaincu le poids du silence, et adouci les souffrances
qui, parfois, allaient avec. On recommande à tous de parler haut et fort. Il y
a même surenchère. Êtes-vous homosexuel
ou échangiste ? Le confessant, qui viendra tout dire sous les sunlights à une heure de grande écoute, sera loué pour son audace, congratulé, montré en exemple. Tant mieux. En revanche, on embarrassera
nos contemporains en les sommant d'annoncer
sans détour, et publiquement, à quelle
vérité ils adhèrent dans le tréfonds d'eux mêmes. A quelle foi ils s'en
remettent ? Quelle croyance les fait vivre ?
Quel Dieu ils honorent ou quelle divinité ils
récusent ? Les réponses, cette fois, risquent de
se faire attendre. Sur ces secrets-là, chacun préfère
garder porte dose. L'intimité véritable
aurait-elle changé d'objet et de périmètre
?
Sans aucun doute.
Alors, suis-je chrétien ?
Rétrospectivement, je comprends mieux
l'engourdissement d'esprit, l'accablement instinctif,
la prudence lasse qui m'assaillaient dès que je
m'approchais, par la pensée, de cette question
centrale. Je réagissais comme tout un chacun. Y
répondre de manière frontale, s'expliquer
sans tricherie exige qu'on accepte de « lâcher prise
». Qu'est-ce à dire ? Lâcher prise signifie
qu'on renoncera autant que possible à l'éloquence,
au calcul, à la rhétorique pour sortir du silence ou
des palinodies. Lâcher prise veut dire qu'on
s'exprimera « tout droit ». Avec le seul souci de
mettre à plat un témoignage. Tout simplement. Dans sa maladresse et son indécision. Lâcher prise, c'est sortir du bois pour s'avancer en terrain découvert, et – sauf exception – sans le bouclier protecteur que constituent les citations, l'érudition, les grands auteurs et les notes en bas de page. Non, il
faudra écrire cette fois en coupant au plus court.
Cela veut dire qu'on
renoncera à «faire le malin ». On essaiera de
rester au plus près de ce qu'on a effectivement
vécu, quitte à sembler ou trop compliqué ou – le
plus souvent – trop sommaire. Au risque de
faire sourire les spécialistes ou hausser les épaules à ces théoriciens de métier ou à ces théologiens valeureusement
attachés à la «patience du concept» mais dont le travail est peu lisible. Serai-je capable de m'en tenir à ce projet ? En tout cas cette imprudence me tente. Je voudrais écrire avec le plus de
clarté possible. Sans faire l'économie
d'une réflexion quand cela s'impose, mais
sans jamais m'égarer dans l'« esprit de
sérieux ».
Jean-Claude Guillebaud
Começo hoje a relembrar ou apreender a linguagem francesa, com a leitura de "Comment je suis redevenu chrétien", de Jean-Claude Guillebaud. E, por acaso, a lembrar-me do velho cristão e, sobretudo, se deus ainda e como existe e nos liga.
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