quinta-feira, 8 de setembro de 2011

Ouverture [14-19]


Cette envie est d'abord le fruit d'une colère longtemps contenue.
Écrivant cela, je songe au sort que l'air du temps réserve aux chrétiens. Je parle ici, non point de « persécution » à proprement parler (ce serait idiot), mais de cette dérision goguenarde qui court dans l'époque et agite les médias, principalement à gauche, où se situent la plupart de mes amis. On aime y désigner le croyant qui s'affiche comme un zombie archaïque, amputé d'une part de lui-même, voué à une crédulité qui prête à sourire quand elle ne déchaîne pas l'hostilité. Dans les milieux philosophiques ou scientifiques, la mise à l'écart est de rigueur. Comment pourrait-il prétendre penser rationnellement celui qu'émeuvent encore ces « fables » ? Peuvent-ils se poser en interlocuteurs et en chercheurs à part entière ceux qui n'ont pas réussi à rompre une fois pour toutes avec cet héritage de superstitions, ou n'ont pas souhaité le faire ? Pensez donc ! Se préoccuper encore de sens, d'ontologie, de métaphysique !
Ce n'est pas la vivacité hostile de ces discours qui me choque. Les chrétiens, après tout, n'ont pas toujours reculé devant la dispute, laquelle accompagne l'histoire du christianisme depuis l'origine. Songeons à celle, fameuse et inaugurale, qui opposa aux IIe et IIIe siècles Celse, le philosophe païen, à Origène, le théologien grec d'Alexandrie, qui prit la peine de reprendre un à un les arguments du premier, au point de s'en faire le « transmetteur » historique 1. Celse, chez qui Nietzsche et les nietzschéens d'aujourd'hui puisèrent nombre de leurs arguments, nous est donc connu grâce à... un presque Père de l'Église (le statut théologique d'Origène est ambigu sur ce point). Le paradoxe est amusant mais sachons que cette emblématique querelle, et celles qui suivirent au long des siècles, ne furent jamais tendres. Celse n'est cité ici qu'à titre d'exemple. La confrontation avec un discours hostile, même violent, est une occurrence dont il faut accepter la rudesse. Et peut-être s'en féliciter. Toute croyance ne doit-elle pas « rendre raison » d'elle-même, sauf à demeurer dans l'obscurantisme ou le sentiment ?
De livre en livre, j'ai tenté pour ma part de prendre le questionnement antichrétien au sérieux. Et j'ai pris soin, autant que j'ai pu, de confronter le christianisme aux critiques les plus sévères, celles qui en récusaient jusqu'au principe. Dans un de ses essais, Jacques Ellul raconte qu'au sortir de l'adolescence, quand il sentit renaître en lui la foi chrétienne, il s'empressa d'aller lire – ou relire – les grands auteurs antichrétiens pour mettre sa foi nouvelle à l'épreuve. Il ne fut jamais arrêté par la vivacité ou la violence de ces textes.
Non, c'est la superbe et la condescendance le plus souvent incultes – pour ne pas dire ignares – de certains réquisitoires contemporains qui m'irritent, surtout lorsqu'ils sont intimement reçus comme des blessures par les hommes et les femmes que je rencontre. Ces réquisitoires n'ont plus rien à voir avec un questionnement ou une controverse documentée. Ils procèdent de l'injonction haineuse, assez proche, au fond, de ce que furent les anathèmes idéologiques du XXe siècle (« Les vipères lubriques », « Tout anticommuniste est un chien ! », etc.). On voudrait convaincre les chrétiens non seulement qu'ils sont « réacs », pour reprendre un substantif à la mode, mais qu'ils sont désormais exclus de l'histoire des idées. Ils sont out ou irrémédiablement « en baisse », comme on dit dans les hebdomadaires.
II est intéressant de se souvenir que durant les premiers siècles du christianisme, dans les décennies qui précédèrent la conversion de Constantin et au sortir des grandes persécutions, il était de bon ton de se dire chrétien. Les intellectuels de l'époque, si l'on peut dire, avaient fini par juger infantiles les croyances païennes des générations précédentes. Aux païens d'être qualifiés de « ringards », si l'on se réfère aux critères contemporains. Aujourd'hui, le mépris a de nouveau changé de campo Le chrétien moqué, le prêtre calomnié, le pape ridiculisé font la joie des humoristes quand ils ne se voient pas soupçonnés de compromission avec la bêtise moralisatrice ou même la violence terroriste. Le fait d'attacher encore de l'importance à ces affaires de foi procéderait de l'imbécillité. Je pense ici à un ancien camarade de faculté, voltairien proclamé et sociologue de renom, qui cessa tout simplement de me voir lorsqu'il se rendit compte que « je m'intéressais à nouveau à la question chrétienne ». II me jugea victime d'une pitoyable rechute, sujet à une pathologie proche de l'idiotie. Je cessais en tout cas d'être à ses yeux un interlocuteur fréquentable.
Je pense aussi à certains auteurs comme le phénoménologue Michel Henry ou le romancier Frédéric Boyer, qui furent longtemps honorés par la critique pour leur travail et pour leurs livres, jusqu'au jour où ils confessèrent leur inclination chrétienne. Alors, ils purent lire des recensions moqueuses ou faussement navrées dans les pages littéraires de quelques grands journaux. Ils en furent meurtris, alors même qu'ils possédaient, eux, les moyens de se défendre. Mais que dire des croyants ordinaires, ceux qui n'ont accès à aucune tribune et doivent encaisser, jour après jour, ce dédain venu d'en haut ? Un dédain qui, sur le fond, me paraît non seulement injuste mais intellectuellement saugrenu.
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1. Le Discours vrai contre les chrétiens de Celse a été composé à l'été 178. Pour lui répondre, Origène rédigea entre 246 et 249 les huit livres de son Contre Celse dans lequel il reprend les propos de ce dernier. Paradoxalement, c'est donc grâce à Origène, son contradicteur chrétien, que nous possédons les neuf dixièmes en substance et les sept dixièmes mot à mot de l'ouvrage polémique de Celse.


Jean-Claude Guillebaud

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